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Environnement : Nicolas Sarkozy lève le masque
Par Claude Aubert, André Cicolella, Laurent Chevalier, Philippe Collin, Jean-Paul Jaud, Dominique Marion et François Veillerette

Dimanche 7 mars 2010, Nicolas Sarkozy, président de la République, a déclaré, à l’occasion d’un débat organisé par la FNSEA dans le cadre du Salon international de l’agriculture : "Je voudrais, au point où j’en suis, dire un mot de toute ces questions d’environnement par ce que là aussi ça commence à bien faire !... Il faut que ça change !"

On pourrait avoir du mal à croire que c’est le même Sarkozy Nicolas qui tenait un discours volontariste le jeudi 25 octobre 2007, à l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement : "Nous ne voulons pas d’une agriculture qui épuise nos sols, d’une agriculture qui utilise de façon croissante des produits chimiques dangereux… Il est grand temps de prendre au sérieux l’usage croissant de produits pesticides, dont nos agriculteurs sont les premières victimes."

Mais ne pas comprendre cette contradiction, c’est être bien naïf et ne pas avoir compris que Nicolas Sarkozy possède l’extraordinaire capacité de promettre tout et son contraire… Les signataires de cette tribune, dont beaucoup ont participé aux travaux du Grenelle de l’environnement, ne peuvent pas être classés dans la catégorie des crédules ou autres naïfs qu’on peut berner si facilement avec quelques promesses faciles. Leurs parcours parsemés d’épreuves et de confrontations avec les réalités de notre époque, dans ce qu’elle a de plus cynique parfois, les a prémunis contre ce risque. C’est donc sans illusion sur la sincérité de Nicolas Sarkozy qu’ils avaient participé au Grenelle de l’environnement en 2007. C’est avec acharnement qu’ils étaient parvenus à arracher quelques avancées, et notamment dans le domaine agricole avec un plan de réduction de moitié de l’usage des pesticides en dix ans, si possible...

Depuis, le travail s’était poursuivi sur ces questions agricoles, et malgré des reculades (lors du vote de la loi Grenelle 1 par exemple) l’essentiel avait été préservé. Ce n’avait pas été le cas sur la question de la santé environnementale. Aujourd’hui, pourtant, les masques tombent et Nicolas Sarkozy, dans une déclaration que nous imaginons mûrement réfléchie et préméditée, vient de trancher. Les puissances de l’agriculture industrielle ont emporté l’adhésion du président. Quant à Bruno Le Maire, il semble avoir le cuir beaucoup trop fin pour supporter les coups de boutoir répétés de ce lobby agricole.

En soulignant l’environnement comme l’une des sources majeures des difficultés que rencontre le monde agricole, M. Sarkozy se trompe de coupable et montre les limites de sa politique en matière de défense de l’environnement et de promotion d’une agriculture durable. Les difficultés que rencontrent les agriculteurs ne viennent pas du fait qu’on applique des mesures environnementales sur le plan phytosanitaire, bien au contraire. Rappelons que la France, en grande partie du fait de l’activité agricole, est toujours sous la menace d’une amende européenne de plus de 28 millions d’euros pour non-respect de la directive eau !

Les difficultés du monde agricole proviennent de la mauvaise rémunération des fruits de leur travail, notamment due à la levée de certains quotas. Les normes environnementales, au contraire, qui leur seront de toute façon imposées à l’échelon européen, contribuent à améliorer l’image, pas toujours positive, que le consommateur a du monde agricole et assure sa transition vers une réelle modernité. En faisant ces déclarations, M. Sarkozy fait fi des attentes de la population, qui jugent prioritaire de réduire de moitié en dix ans les pesticides dans l’agriculture conventionnelle et qui jugent également prioritaire de développer l’agriculture biologique (selon un sondage CSA publié dans le cadre du Grenelle). Mais torpiller les mesures environnementales en agriculture est bien plus facile que d’obtenir un maintien de quotas de production pour le lait en Europe ou une régulation du prix des céréales au niveau mondial. Libéral et supporter de M Barroso , M. Sarkozy a depuis bien longtemps renoncé à se battre sur ces terrains, de toute façon…

Il ne lui restait plus qu’à choisir la politique du pire, celle qui consiste à privilégier le double calcul corporatiste et électoraliste au détriment d’une vision à long terme.

Cette vision à court terme ne résoudra pas les difficultés réelles des agriculteurs, qui ne s’y tromperont pas. Par ailleurs, de plus en plus commencent à comprendre qu’ils sont eux-mêmes les premières victimes de l’excès d’épandage de pesticides, en terme de santé.

Cette déclaration est un mauvais signal pour tous les acteurs du Grenelle qui ont collaboré à un travail pour amorcer une réelle évolution de notre agriculture, comme les agronomes et économistes de l’INRA, qui ont travaillé deux ans sur le rapport Ecophyto R et D ( montrant la viabilité économique de systèmes à bas niveaux d’intrants en grande culture ), comme les représentants des ONG environnementales, ou encore comme les représentants de syndicats agricoles pour qui la question environnementale compte vraiment. Le signal d’un coup d’arrêt porté à la modernisation nécessaire de notre agriculture, qui a pourtant tant besoin d’une meilleure prise en compte de l’environnement et d’améliorer son image tant en France qu’à l’étranger. La "forteresse agricole" qu’est la FNSEA a sans doute réussi un coup avec cette décision présidentielle, qui va favoriser le maintien en l’état de systèmes privilégiant la production de gros volumes (rémunérateurs pour l’agro-industrie) plutôt que des systèmes privilégiant la qualité environnementale. Mais il s’agit en réalité d’un mauvais coup porté à l’agriculture et aux agriculteurs dans leur plus grand nombre – pour qui l’excellence environnementale sera demain la solution pour s’adapter à un monde aux exigences nouvelles –, et aux générations futures, auxquelles M. Sarkozy devra rendre des comptes.

Signataires : Claude Aubert, ingénieur agronome ; André Cicolella, toxicologue, président du Réseau Environnement Santé ; Docteur Laurent Chevallier, nutritionniste, praticien attaché en centre hospitalo-universitaire ; Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne ; Philippe Desbrosses, agriculteur, docteur en environnement ; Jean-Paul Jaud, journaliste, réalisateur ; Dominique Marion, paysan, président de la Fédération nationale de l’agriculture biologique ; François Veillerette, président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures.

Point de vue publié sur lemonde.fr le 18 mars 2010


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